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Est-ce la fin de notre mémoire?

par Pandore 24 Août 2013, 09:46 Analyses

 

 

« La mémoire n’est pas faite pour se souvenir du passé, elle est faite pour prévenir le futur. La mémoire est un instrument de prédiction. »

Alain Berthoz

 

 

 

 

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Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines, peinture d’Hubert Robert, 1796. Huile sur toile, Musée du Louvre, Paris.

 

 

  La mémoire, à quoi peut-elle nous servir aujourd’hui si nous pouvons tout stocker sur ordinateur ? Il n’y a plus besoin d’apprendre, ni d’aller à l’école, mais seulement faire une recherche Google sur son téléphone et lire Wikipédia pour épater la galerie avec ses connaissances instantanées. Là est l’erreur selon plusieurs chercheurs. Notre cerveau ne fonctionne pas du tout comme une machine, et contrairement à ce que l’on pense, faire l’effort de retenir structure le cerveau humain. On ne maîtrise pas comme dans Matrix où l’on peut télécharger les connaissances puis, se battre comme un maître en Kung-fu ou, piloter comme Trinity un hélicoptère en cinq minutes. Notre apprentissage demande du temps et l’école reste la meilleure façon de forger les esprits.

  La mémorisation est liée à la création de neurones et de synapses, zones de contact où s’échangent l’information entre les neurones. Regardez la demoiselle passée dans la rue, votre cortex visuel se stimule. Cette personne vous fait penser à quelqu’un, une autre zone s’active, celle de la mémoire, puis celle des émotions, rappelant un moment vécu. Le cerveau s’illumine et interagit simultanément par des millions de connections électriques et chimiques en quelques secondes. Laurent Alexandre, chirurgien en Belgique, explique que « notre cerveau ne fonctionne pas de façon binaire comme un ordinateur. On ne mémorise pas une scène sous forme de pixel, comme une image. Ce sont plusieurs parties du cerveau qui sont sollicitées pour traiter l’information recueillie. »

  Des chercheurs se sont aperçus que l’hippocampe, noyau profond du cerveau, produit un nombre infini de ces connexions. Chaque mémoire se développe alors tout jeune et se construit au fil du temps, par notre expérience personnelle et notre environnement social. Plus nous travaillons notre mémoire, plus nous construisons des connexions et des réseaux de neurones. « On peut apprendre neuf langues étrangères sans problème jusqu’à l’âge de cinq ans, mais dépassé quarante ans, vous aurez du mal à en apprendre une nouvelle et surtout avec le bon accent » rappelle Laurent Alexandre. Il faut travailler régulièrement notre mémoire comme un muscle. Faire du sport intellectuel.

 

La Bibliothèque virtuelle d'Alexandrie

  Internet offre la bibliothèque virtuelle d’Alexandrie, accessible à tous et de chez soi. Autant en profiter. Il est clair pourtant que les nouvelles technologies changent notre façon d’apprendre. Thierry Baccino, professeur de psychologie cognitive à l’université Paris 8, raconte une expérience réalisée aux Etats Unis : « Deux groupes devaient lire, puis mémoriser. Le premier groupe savait que ces informations étaient stockées sur ordinateur. Au second groupe, on leur a dit de faire attention au stockage sur ordinateur, car s’il y avait une coupure d’électricité, toutes les informations pouvaient disparaître. L’expérience a montré que le premier groupe ne mémorisait pas les phrases mais il savait où les trouver. Le second mémorisait très bien. Internet permet donc de retrouver l’information mais on ne fait plus aucun effort pour retenir. » On n’apprend plus de manière approfondie, mais en surface en se rappelant du « où » mais plus du « quoi ». De son coté, Pierre-Jean Benghozy, chercheur sur les nouvelles technologies à l’Ecole Polytechnique, perçoit « la création d’une nouvelle forme de savoir par sa dimension collective, par les échanges, les réseaux sociaux et les communautés sur le web. » L’émergence d’une démocratie du savoir. Il faut se rappeler que l’imprimerie au XVe siècle avait bouleversé l’apprentissage oral. Le développement des bibliothèques était considéré à l’époque de Leibniz comme une diffusion de la barbarie. De même, internet perturbe l’ordre établi. Mais il suffit de l’utiliser intelligemment, tout comme la télévision. Eviter de rester sur Facebook pour « espionner » vos amis ou stocker toute votre vie sur un téléphone, puis un jour le perdre, votre mémoire avec. Internet permet une extension de soi, comme une sorte de prothèse afin d’approfondir ses connaissances. Saviez-vous que les recherches d’Harvard sont accessibles à tous ?

 

Si vous n'allez pas vers la connaissance, elle n'ira jamais vers vous.

  Cela ouvre la voie à un apprentissage plus créatif et autonome. Si vous  n’allez pas vers la connaissance, elle n’ira jamais vers vous non plus. Le musée du Louvre est gratuit par exemple pour les moins de 26 ans et 15 euros l’année pour les moins de 30 ans. Mais Mr Benghozy nous rappelle que « la créativité a besoin de cadre. Ne plus mémoriser ne va pas nous rendre plus intelligent. Gainsbourg disait qu’il a mis quinze minutes pour écrire La Javanaise. Mais combien de temps a-t-il passé pour apprendre à écrire avant ? Nous avons besoin de limite pour avancer. » De même, Emmanuel Sander, un confrère de Thierry Baccino, souligne qu’ « il faut être prudent avec cette idée que décharger sa mémoire serait bénéfique. La substance même de la créativité se fonde sur des concepts que nous avons appris. Nous ne pouvons pas nous en soulager. » Et puis, le web n’est pas de même nature que la mémoire humaine. Faites une recherche sur Google, tapez « mauvaise fois » par exemple. Il ne va pas vous trouver les personnes qui sont de mauvaise fois dans leurs écrits, simplement une définition de chaque mot ou un texte comprenant ces mots. « Le problème, c’est qu’il ne traite pas les significations. Cela reste superficiel. Google est tout aussi bête qu’un rat », constate Mr Sander. On ne peut pas tout apprendre, certes, mais un minimum est requis. La machine ne peut remplacer votre cerveau. On ne nait pas intelligent, on le devient.

   Enfin, le professeur reste indispensable, « utile à l’évaluation des connaissances, à la motivation et à l’interaction dans un groupe », ajoute ce dernier. « L’être humain apprend par interactions avec son corps et son environnement. L’homme reste un animal rationnel. » Il ressent d’abord puis réfléchit. « Nous avons besoin d’incarner nos expériences pour les apprendre. ».  Certains ont un talent d’orateur et transmettent très bien le savoir, d’autres, c’est vrai, devraient changer de voie.

 

  L’enjeu de demain sera d’intégrer les nouvelles technologies à l’école. Verrons-nous des écoliers en maternel avec une tablette à la main ? Dans 15 ou 20 ans selon Mr Sander. En tout cas, nous nous orientons vers un apprentissage individuel où les professeurs pourront diagnostiquer les erreurs de chacun et les aider à s’améliorer plus rapidement. L’élève en saura tout autant que son professeur mais dans des domaines différents. Internet ouvre des possibilités d’apprentissage qu’on ne maitrise pas encore, où l’élève sera l’égale du professeur, une démocratie en sorte, vers le prolongement du mythe du cyborg et sa mémoire « augmentée ».

 

 

A lire:

Usbek & Rica N°7, La revanche des cancres, bienvenue dans l'école du futur (link)

 

 

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